Né dans le Nord en 1969, Freddy Jacotot fut d'abord un étudiant brillant et un sportif de haut niveau : marathon, cross, VTT, course cycliste (il avait deux Shimano et une barque sur l'étang de Palluel) 



Il transcendait par la photographie sa passion pour la Nature, parcourant en toute saison les bois et marais de son magnifique terroir natal. Malgré son patient travail de recherche esthétique, il ne se considérait pas comme un ''artiste'' et dissimulait pudiquement son talent derrière une jovialité rabelaisienne, diversifiant ses expériences créatives au fil du temps et des outils. Quand j'ai fait sa connaissance, dans les années 90, il travaillait en noir et blanc. J'ai vu des arbres enlacés à de vieilles masures en ruines, des barques immobiles sous des frondaisons se mirant dans l'eau. Un divorce malheureux a anéanti ce travail.






Il peignait également. Mais, insatisfait, il détruisit tous ses tableaux, dont je n'ai pu faire que quelques mauvaises photos à la sauvette.




Dans les années 2000, concentrant son champ de vision avec le 100mm, il traite en couleurs les reflets, les brumes, le résultat de la lumière, traçant des croquis annotés de ses cadrages. Un jour il capte une feuille tombée à la surface d'un étang. Le lendemain, elle repose sur le fond. Huit jours plus tard, des aigrettes de glace servent de cadre à sa décomposition. On pense aux ''Trois mondes'' de M.C Escher. Ce n'est pas la tige solitaire émergeant de l'eau -simple point de repère pour l'oeil- qui l'intéresse, mais ce que fait la lumière sur l'eau, tout autour de cette tige. Puis, il n'y a plus de tige, plus de point de repère, seulement la lumière, la couleur, les reflets et les ombres de choses vagues hors-champ. Au-delà de la feuille ou du givre, c’est la lumière pure et ses mille manifestations fugaces que cherche à saisir Freddy. Ecoutons-le :






« Dans les étangs et rivières des confins de l’Artois, j’essaie de montrer une nature colorée, belle et étonnante. L’imaginaire, ma rêverie ne m’ont jamais quitté depuis l’enfance. Alors, avec cet œil, je capte des signes, des couleurs entremêlées, en espérant y voir quelque bribe d’un songe. A l’aide de reflets dans et sur l’eau, d’effet de miroir, de matière, de lumière concentrée en force, l’apport du vent, le flou, le gel, le sujet donne parfois une impression de mouvement, de vitesse, d’accélération. Il peut y avoir une relative déstructuration du motif par les conditions particulières de prise de vue. Le but est d’entrer complètement dans le secret de la lumière afin que celle-ci s’approprie le premier rôle dans un sujet seulement ébauché, une ''lumière-sujet'' en quelque sorte »






Puis vint la maladie. Chômeur de longue durée sans ressources, il habitait une vieille maison qui se dégradait, et prenait soin de sa vieille mère percluse.
En 2019, la découverte du smartphone lui permit de nouvelles recherches graphiques à moindre coût. Dans ces nouvelles photos je vis, mois après mois, la sublimation du processus destructeur qui l'habitait : objets brûlés, métaux fondus, suppression du réel au seul profit de formes et couleurs insaisissables et, pire, ses autoportraits le montraient s’effaçant, disparaissant, jusqu'à n'être plus que l'ombre de lui-même.









(Autoportrait à l'hôpital)






Un jour d’avril 2022, sa mère me téléphona.
Il avait combattu pendant dix années.

Adieu, mon ami.

Bruno Escudié


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